Cette note fait suite à la note N° 125 sur la séparation des Eglises et de l'Etathttp://jean.delisle.over-blog.com/la-loi-de-séparation-n-125.html et à la note N° 126 sur la destruction d'églises en Francehttp://jean.delisle.over-blog.com/la-destruction-d-églises-en-france-n-126.html.
C'est en 1084 que Bruno de Cologne (1030/1101), futur Saint Bruno et 6 de ses compagnons furent amenés à Saint Pierre de Chartreuse (Isère) par Hugues de Châteauneuf-sur-Isère (dans la Drôme) (1053/1132), alors évêque de Grenoble (futur Saint Hugues, un vitrail du XIXe siècle, dans la cathédrale Notre-Dame à Grenoble représente Saint Bruno et Saint Hugues ensemble). Saint Bruno et ses compagnons fondèrent la Grande Chartreuse et l'ordre des Chartreux.
Les Chartreux furent expulsés une première fois le 17 octobre 1792. Ils revinrent occuper le site de Saint Pierre de Chartreuse à compter du 16 juillet 1816. Ils furent expulsés une seconde fois le 29 avril 1903 et ne revinrent qu'à partir du 21 juin 1940.
L'expulsion de 1903 fut évoquée à la Chambre (des députés). L'événement est raconté par Georges Suarez dans sa biographie d'Aristide Briand tome II de 1938 chapitre VI. En voici le récit qui montre, pour le moins qu'il n'y a rien de neuf sous le soleil :
« De graves découvertes s'annonçaient sur la liquidation des congrégations qui s'était effectuée en vertu des lois de 1901 et de 1904 sur les associations. Les congréganistes frappés par la loi de 1901 avaient touché la somme totale de 39.725fr75 ; ceux qui avaient été dispersés par la loi de 1904, avaient reçu 19.030 francs, en tout 58.755fr75. Les liquidateurs avaient cependant réalisé une somme de 13 millions. Qu'était devenue la différence ? Duez, un des trois liquidateurs nommés pour cette gigantesque opération venait d'être arrêté. Il avait avoué notamment qu'il avait dérobé une somme de 500.000 francs à son prédécesseur, un nommé Imbert dont il était le collaborateur. Celui-ci ne s'était jamais aperçu du vol parce qu'il ne contrôlait jamais sa comptabilité ni sa caisse. L'enquête révéla que les comptes tronqués de la liquidation des biens de la congrégation des Marianistes avaient permis à Duez de dissimuler une somme de 527.000 francs, tandis qu'il remettait à sept religieux infirmes 3.700 francs qu'ils devaient se partager. L'ensemble des escroqueries commises par Duez représentait environ 10 millions. Mais les deux autres liquidateurs n'étaient pas moins suspects. La vente de la marque de la Grande-Chartreuse, dira Jaurès devant la Chambre, a été le prétexte d'importantes malversations. C'est ainsi que le stock des liqueurs vendu à l'adjudication aurait été augmenté avec la complicité du liquidateur Lecouturier de 500.000 bouteilles de Chartreuse falsifiée et vendue au prix de la liqueur authentique. On a affirmé que la maison Cusenier et Poidatz pour se rendre acquéreur de la marque à des conditions avantageuses avait versé à M. Lecouturier 66.000 francs. On a dit également que la maison Cusenier avait, avec l'autorisation de la direction des contributions directes, falsifié elle-même les 500.000 bouteilles destinées à augmenter le stock.
Ce n'était pas la première fois qu'il était question des Chartreux à la tribune de la Chambre. Au moment de l'application de la loi sur les associations, Edgar Combes, le fils de l'ancien président du Conseil, avait été accusé d'avoir essayé de soutirer aux Chartreux un million en échange duquel il se faisait fort d'obtenir du gouvernement qu'il autorisât leur congrégation. Le 10 juin 1904, Millerand avait interpellé le ministère Combes sur les lenteurs de ses réalisations sociales. Combes répliqua assez vertement que s'il était obsédé, comme le disait Millerand, par l'anticléricalisme, il ne s'enrichissait pas des dépouilles des congrégations. Cette allusion aux nombreuses plaidoiries que Millerand prononçait depuis 1902 au profit des liquidateurs contre les congrégations, provoqua une certaine sensation. Quelqu'un cria : Et le million des Chartreux ? Combes essaya d'invoquer la calomnie pour couvrir les nébuleuses activités de son fils, mais sa haine contre Millerand n'en prit que plus de force....
Quand vint devant la Chambre, le 11 et le 15 mars 1910, le débat sur les scandales Duez et Lecouturier, personne ne douta que l'attaque avait été manigancée par Combes pour atteindre Millerand.
Il paya de sa personne jusqu'à venir sur place, dans les couloirs du Palais-Bourbon, surveiller le développement de l'intrigue. Sa barbiche de diablotin, sorti d'une boîte à joujoux, frémissait d'indignation. Il laissait passer sa colère dans le langage savoureux et chantant de sa Charente natale. Il ne se contenait plus, prenait par le bras le premier venu, l'attirait dans l'embrasure des fenêtres, lui contait avec de grands gestes de ses petits bras l'affreuse histoire d'Alexandre Millerand dans les opérations des liquidateurs....
La discussion fut mouvementée. Jaurès avait parlé longtemps sur le cas des Chartreux soutenu par l'extrême droite et l'extrême gauche. Il avait fait apparaître des complicités judiciaires qui amenèrent le Garde des Sceaux Barthou à déclarer qu'il y avait quelque chose de gangrené dans la magistrature.... ».
Comme quoi, si il y avait eu un « mur des cons » à l'époque, n'y auraient pas figurés que des gens de droite, mais aussi autant de la gauche, des liquidateurs sans oublier des magistrats. Le spectacle de la Société humaine n'est pas toujours brillant ! On notera en outre que le scandale fut révélé « grâce » à un conflit entre Combes et Millerand qui étaient du même bord politique ! Même avant « Médiapart » des coups tordus finissaient par être révélés !
J.D. 2 septembre 2013
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