Durant des siècles, « Dauphinois » et « Savoyards » vécurent sous la même autorité. La plus ancienne connue est celle des Allobroges (voir sur mon blog la note consacrée aux Allobroges et à l'Allobrogie http://jean.delisle.over-blog.com/article-les-allobroges-62129941.html). Puis l'Allobrogie fut annexée par les Romains en l'an 121 avant notre ère et leur domination dura près de six siècles.
A la fin des années 430, le général romain Aétius laissa les Burgondes s'installer dans la région. Après la chute de l'Empire romain d'occident en l'an 476, un royaume burgonde s'organisa et s'étendit sur une grande partie du sud-est de la France et sur une grande partie de la Suisse.
Rapidement il y eut des conflits pour le pouvoir à l'intérieur du royaume puis des guerres avec les Francs à partir de la fin du cinquième siècle et le royaume de Burgonde disparut en l'an 534 au profit des Francs.
Dauphinois et Savoyards étaient toujours sous la même autorité. Ils connurent les rois Mérovingiens puis les Carolingiens dont le célèbre Charlemagne couronné roi des Francs en l'an 768, puis roi des Lombards en l'an 774 et enfin empereur d'Occident le 25 décembre de l'an 800 à Rome par le pape Léon III.
Avant sa mort à Aix-la-Chapelle le 28 janvier 814, Charlemagne avait couronné son fils Louis (Louis-le-Pieux) empereur d'Occident le 11 septembre 813 à Aix-la-Chapelle. Ce couronnement fut confirmé à Reims en octobre 816 par le pape Etienne IV.
Ce Louis-le-Pieux mourut près de Mayence le 20 juin 840. A la fin de sa vie il dut faire face à des conflits armés contre ses propres fils. Après sa mort les conflits continuèrent pour le pouvoir. Deux des frères, Louis et Charles se liguèrent contre Lothaire, l'aîné. Ce Lothaire avait été couronné co-empereur à Rome par le pape Pascal 1er le 5 avril 823.
Cela se termina le 11 août de l'an 843 par le traité de Verdun par lequel les trois frères se partagèrent l'empire de Charlemagne leur grand-père.
Charles reçut la partie occidentale de l'empire ou « Francie occidentale ». Il devint roi de France sous le nom de Charles II (surnommé « Charles-le-Chauve »), avec pour capitale Paris. Louis hérita de la « Francie orientale » et devint roi de Germanie sous le nom de Louis II surnommé Louis le Germanique avec pour capitale Mayence. Enfin Lothaire, l'aîné, conserva le titre d'Empereur sur la « Francie médiane » qui allait de la mer du Nord à l'Italie et prit plus tard le nom de « Lotharingie » avec pour capitale Aix-la-Chapelle. La Saône servit de frontière entre la Francie occidentale et la Francie médiane; Savoie et Dauphiné se retrouvèrent, toujours unis, dans la Lotharingie.
Lothaire mourut le 29 septembre 855. Avant sa mort il avait lui-même partagé la Francie Médiane entre ses trois fils eux aussi prénommés Lothaire, Charles et Louis, ce qui ne simplifie pas la compréhension de l'Histoire. Lothaire II hérita de la partie nord de la Francie médiane et du titre d'Empereur. Après la mort de Lothaire II le 8 août 869, ses oncles Louis-le-Germanique et Charles-le-Chauve se partagèrent son territoire, ce qui mit en contact le royaume de France et celui de Germanie, ceux-ci n'étant plus séparés par la « Francie médiane ». Enfin, Charles-le-Chauve parvenait à récupérer le titre d'empereur en se faisant couronner à Rome à Noël de l'an 875 par le pape Jean VIII. Pour la petite histoire savoyarde, ce Charles-le-Chauve mourut en Savoie à Avrieux le 6 octobre 877.
Tout ce petit monde, petits-fils et arrières petits-fils de Charlemagne se fit naturellement la guerre, chacun cherchant à augmenter son pouvoir et son territoire. A l'occasion des luttes, alliances et désordres, un Rodolphe reconstitua un royaume de Bourgogne en 888, tandis qu'un Bosson devenait roi de Provence ou d'Arles en 890. Ces deux royaumes fusionnèrent en 933.
Le « Saint Empire romain germanique » succéda à la Lotharingie lorsque Otton fut couronné empereur à Rome le 2 février de l'an 962 par le pape Jean XII.
En 1030, un archevêque de Vienne (Isère), nommé Burchard, légua ses domaines en les partageant entre un Savoyard nommé Humbert, originaire de Maurienne et surnommé « Humbert aux blanches mains » et un Dauphinois nommé Guigues d'Albon et dont la branche s'était attribuée différents titres dont celui de « Dauphins du Viennois ». Humbert est considéré comme le fondateur de la dynastie « Savoie » et les Guigues comme les premiers dauphins. On peut ainsi considérer que les entités « Savoie » et « Dauphiné » naquirent en même temps. (voir « Histoire de la Savoie » d'Henri Ménabréa, La Fontaine de Siloé 2005, pages 30/31)
En 1032, l'Empereur romain germanique Conrad II récupéra la Bourgogne (partie à l'est de la Saône) après la mort, sans héritier, du dernier roi de Bourgogne Rodolphe III.
Conrad II donna en 1034 un titre de Comte à « Humbert aux blanches mains ». En même temps la Savoie devint vassale du Saint Empire romain germanique et le resta jusqu'à ce que les ducs de Savoie deviennent rois en 1713. (voir sur mon blog l'histoire de la Maison de Savoiehttp://jean.delisle.over-blog.com/article-histoire-de-la-maison-de-savoie-59295182.html).
Le 13 janvier 1155, au cours d'une cérémonie au château de Rivoli (Piémont), le dauphin Guigues V reconnaissait la suzeraineté de Frédéric Barberousse empereur germanique, tandis que cet empereur confirmait les titres que les Dauphins s'étaient attribués.
Savoie et Dauphiné étaient donc toujours sous la même autorité, mais le Saint Empire romain germanique ne fut pas organisé comme un Etat-nation avec une autorité centralisée, mais comme une confédération d'Etats qui conservaient par ailleurs leur souveraineté. (voir sur mon blog la note intitulée « la fin des quatre empires, partie 1 consacrée à l'Empire allemandhttp://jean.delisle.over-blog.com/article-la-fin-des-4-empires-97643758.html) et qui par conséquent pouvaient continuer à se faire « allègrement » la guerre.
Les siècles passent mais la nature humaine évolue peu. Depuis l'aube des temps, sur tous les continents, il y eut des guerres pour le pouvoir, pour les territoires, pour les biens et même pour les femmes (voir « l'enlèvement des Sabines »).
Dauphinois et Savoyards revendiquèrent des mêmes territoires et particulièrement le nord-Isère ou les Alpes du sud. Dans l'Isère par exemple, toute la zone Rives, Voiron, Saint Laurent-du-Pont appartint à la Savoie, quant aux Alpes du sud, il fallait aux Savoyards un passage pour relier Nice et la Savoie. Il y eut donc des guerres, avec une zone qui concentra l'essentiel des combats, celle de Montmélian, Poncharra, Chapareillan. Aujourd'hui, les promeneurs ne se doutent pas que sous leurs pieds des milliers de Dauphinois et de Savoyards s'étripèrent et y laissèrent la vie. Petit résumé :
*C'est le dauphin Guigues IV qui inaugura la première guerre en envahissant en 1133 la Savoie, alors même que le comte de Savoie Amédée III était marié avec la sœur de Guigues IV. Guigues IV fut tué au siège de Montmélian
*En 1153 c'est au tour du dauphin Guigues V d'envahir la Savoie. Il fut vaincu par le comte de Savoie Humbert III
*En 1253, le dauphin Guigues VII épouse Béatrice fille du comte de Savoie Pierre II dit le petit Charlemagne. Elle lui apporte en dot le Faucigny. A cette époque la maison de Savoie avait annexé une partie de la Suisse (l'équivalent de la Suisse francophone d'aujourd'hui sauf Genève). Donner le Faucigny aux Dauphinois c'était introduire le loup au milieu de la bergerie et cela fut bientôt motif de guerres.
*1282, la guerre reprend entre le comte de Savoie Philippe 1er et le dauphin Humbert 1er. Cette guerre qui se poursuivit entre le comte Amédée V et le dauphin Humbert 1er se termina par le traité de Saint Jean de Moirans en 1293.
*7 août 1325 : le comte de Savoie Edouard 1er dit le Libéral fut vaincu par le dauphin Guigues VIII à la bataille de Varey près de Pont d'Ain
*23 juillet 1333 : le dauphin Guigues VIII est tué au siège du château de La Perrière, à Saint Julien de Ratz dans l'Isère (qui à l'époque appartenait à la Savoie)
*En 1334, le comte de Savoie Aymon dit le Pacifique fait un traité de paix (traité de Chapareillan) avec le dauphin Humbert II qui avait succédé à Guigues VIII (un comte de Savoie et un roi d'Italie s'appelèrent aussi Humbert II)
*En 1349, le dauphin Humbert II, sans héritier et criblé de dettes vend le Dauphiné à la France pour 200.000 florins et une rente de 24.000 livres payable chaque année « à Pâques ou à la Trinité ». Le 16 juillet 1349, à Lyon au couvent des Dominicains a lieu une cérémonie appelée « cérémonie de transport du Dauphiné à la France ». Dans les traités qui précédèrent le transfert, il fut prévu que le titre de dauphin reviendrait à l'héritier de la couronne de France. Charles, fils de Jean-le-Bon devient le premier « héritier dauphin ». Il deviendra roi de France sous le nom de Charles V dit Charles-le-Sage de 1364 à 1380. Le plus célèbre « héritier-dauphin » fut Louis II qui devint roi de France sous le nom de Louis XI et qui régna comme roi de France de 1461 à 1483. Pour la petite histoire dauphinoise, le dauphin Guigues VII avait acheté une tour et un hôtel à Grenoble qui servirent de résidence au dauphin Louis II (futur Louis XI) jusqu'en août 1456. C'est sur le même emplacement que sera construit à partir de 1602, l'hôtel de Lesdiguières.
*Pendant que le Dauphiné devenait français, la Savoie restait dans le giron du Saint Empire. Ce fut un motif de plus de guerres, mais avaient-ils besoin de motifs pour s'entre-tuer ? Les guerres prirent seulement une nouvelle dimension. Depuis la fin de l'Empire romain d'occident en l'an 476, l'Italie était restée très morcelée. Elle fut convoitée par plusieurs Etats, principalement l'Autriche, la France, l'Espagne. L'Italie devint un des champs de batailles privilégié de l'Europe. La Savoie se trouvait sur la route d'Italie et vassale du Saint Empire. Certains de ses souverains surent habilement jouer des alliances, mais d'autres non. La Savoie vit défiler les armées françaises de Louis XI, de Charles VIII, de Louis XII, de François 1er, d'Henri II, d'Henri IV, de Louis XIII, de Louis XIV, de Louis XV, de la Révolution, de Napoléon, et j'en oublie probablement. Pauvres Savoyards et pauvres Savoyardes car de tous temps, le flux et le reflux des armées entrainèrent des réquisitions (il fallait bien nourrir les troupes), mais aussi des pillages, destructions, viols...! La Savoie fut occupée par la France de 1536 à 1559 sous François 1er et Henri II, En 1630/1631 sous Louis XIII, de 1690 à 1696 et de 1703 à 1713 sous Louis XIV, de fin septembre 1792 à la chute de Napoléon, avant d'être réunie à la France le 14 juin 1860 à midi. Ainsi, à nouveau Savoie et Dauphiné se retrouvèrent sous la même autorité et cela termina les guerres, car même la réunion du Dauphiné à la France n'avait pas arrêté les conflits :
*En avril 1354 le comte de Savoie Amédée VI dit le comte Verd, fut vainqueur du Dauphin Charles et des Dauphinois à la bataille des Abrets. La guerre de « cent ans » entre la France et l'Angleterre avait commencé en 1337. Le Dauphin Charles et son père le roi de France Jean-le-Bon préférèrent négocier avec les Savoyards par le traité de Paris du 5 janvier 1555. La Savoie s'alliait à la France contre l'Angleterre, récupérait le Faucigny, le Beaufortain et diverses baronnies et Amédée VI épousait Bonne de Bourbon cousine de Jean-le-Bon et nièce de Philippe VI qui fut roi de France de 1328 à 1350.
*En 1430, la noblesse savoyarde fut vaincue à Anthon-sur-le-Rhône par les dauphinois.
*De 1591 à 1600 nouvelle guerre entre Dauphinois et Savoyards. La venue d'Henri IV termina le conflit avec la défaite du duc de Savoie Charles-Emmanuel 1er. Le traité de Lyon du 17 janvier 1601 fit perdre à la Maison de Savoie la Bresse, le Bugey, le Valromey et le pays de Gex.
Pour se protéger de l'ennemi, Dauphinois et Savoyards avaient construits de nombreux forts. Le plus célèbre fut celui de Montmélian, assiégé de nombreuses fois, pris sous Henri IV et Louis XIV puis démoli. Le plus cocasse est le fort Barraux que fit construire le duc de Savoie Charles-Emmanuel 1er et dont Lesdiguières (pas encore duc) s'empara par une nuit de clair de lune le 15 mars 1598 avant que le fort ne fut armé et occupé.
J.D. 30 septembre 2012