Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 septembre 2014 2 16 /09 /septembre /2014 16:44

Le 5 septembre 1929, à l'occasion de la dixième Assemblée de la Société des Nations à Genève, Aristide Briand commençait à parler d'Union Européenne. L'idée n'était pas neuve, d'autres l'avaient émise bien avant, comme Victor Hugo qui en 1869 à Lausanne s'était déclaré partisan d'une « République européenne fédérale ».

Mais c'était la première fois qu'un responsable politique de haut niveau s'engageait dans cette voie. Voici un extrait de la déclaration de Briand :

« Je pense qu'entre les peuples qui sont géographiquement groupés, comme les peuples d'Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral. Ces peuples doivent avoir la possibilité d'entrer en contact, de discuter de leurs intérêts communs, de prendre des résolutions communes. Ils doivent en un mot, établir entre eux un lien de solidarité qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves, si elles venaient à naître.

C'est ce lien, messieurs, que je voudrais m'efforcer de créer.

Évidemment, l'association agira surtout dans le domaine économique : c'est la nécessité la plus pressante. Je crois qu'on peut, en ce domaine, obtenir des succès. Mais je suis sûr aussi qu'au point de vue politique ou au point de vue social, le lien fédéral, sans toucher à la souveraineté d'aucune des nations qui pourraient faire partie d'une telle association, peut être bienfaisant. Et je me propose pendant la durée de cette session, de prier ceux de mes collègues qui représentent ici des nations européennes de vouloir bien, officieusement, envisager cette suggestion et la proposer à l'étude de leurs gouvernements, pour dégager plus tard , pendant la prochaine assemblée peut-être, les possibilités de réalisation que je crois discerner. »

Quatre jours plus tard, c'est-à-dire le 9 septembre 1929, Aristide Briand invitait à déjeuner l'ensemble des délégués européens présents à Genève. Un communiqué fut diffusé à la suite de ce déjeuner. En voici le texte :

« Au cours d'une réunion à laquelle il avait invité les ministres des affaires étrangères et premiers délégués des 27 nations européennes participant à l'Assemblée de la Société des Nations, M. Briand a développé les idées relatives à l'organisation de l'Europe qu'il avait esquissées devant l'Assemblée. Après un échange de vues, les délégués présents ont déclaré à l'unanimité prendre acte de l'initiative du président du Conseil français tendant à instituer, entre les nations européennes, un lien de solidarité et la considérer avec sympathie. Tous se sont engagés à saisir leur gouvernement de la question et à la mettre à l'étude. Ils ont chargé le président du Conseil français de rédiger, à l'adresse des gouvernements européens représentés à la Sociétés des Nations, un mémorandum et d'instituer une consultation sur cette question. Sur les réponses, le président du Conseil français est prié de préparer un rapport résumant les avis formulés. Ce rapport sera discuté dans une nouvelle réunion qui aura lieu à Genève, au cours de la onzième Assemblée de la Société des Nations. »

En France, Aristide Briand reçut le soutien, semble-t-il actif, d'Edouard Herriot. L'accueil à l'étranger fut très divers. La presse anglaise se trouva très majoritairement hostile au projet arguant que la Grande Bretagne avait mieux à faire avec son empire colonial. En Allemagne la « Gazette de Voss » déclarait qu'à la base d'une union durable des peuples européens il fallait d'abord organiser l'entente franco-allemande .

Le premier mai 1930, le mémorandum d'Aristide Briand était prêt et fut adressé à 27 Etats européens le 17 mai. Les 27 étaient ceux des pays d'Europe qui faisaient partie de la Société des Nations.

La création d'une union européenne était présentée comme une « union morale », une « entente régionale » dans le cadre de la Société des Nations. Il était proposé :

*la création d'une « Conférence européenne » et d'un « organe exécutif permanent » siégeant tous deux à Genève avec une présidence par roulement entre les nations adhérentes avec en outre un secrétariat permanent. Le mémorandum affirmait que « c'était sur le plan de la souveraineté absolue et de l'entière indépendance politique de chaque Etat que devait être réalisée l'entente entre les nations européennes ».

Entre le 25 juin et le 4 août 1930, les différents gouvernements firent parvenir leur position à Aristide Briand. Personne n'était contre ; chacun voulait conserver son indépendance mais espérait la poursuite de discussions pour avancer ses propres pions et revendications.

Le 13 septembre 1930, le débat repris au sein de la S.D.N sur ce projet « d'union européenne » et le 17 septembre était créée une « commission d'étude ». Cette commission fonctionna et eut quelques résultats sur le plan économique et notamment deux conférences du blé qui se tinrent à Rome en 1931.

Mais le 21 mars 1931, se répandit le bruit de tractations secrètes entre l'Allemagne et l'Autriche pour la fusion des 2 pays. Cela occupa toutes les discussions et toutes les réunions. Puis le 8 janvier 1932 Briand démissionnait pour raisons de santé. Il décéda le 7 mars. Le Parlement français décida qu'il avait bien mérité de la patrie et vota des obsèques nationales. Ce fut Edouard Herriot qui prononça l'éloge funèbre de Briand qui avait été 24 fois ministre et 11 fois président du Conseil.

Avec la disparition de Briand disparut aussi le projet d'Union européenne et ce d'autant que quelques mois plus tard les nazis arrivaient au pouvoir en Allemagne.

Une union économique pouvait-elle se faire sans union politique ? C'est probablement bien là tout le problème.

Il a peut-être fallu ce projet d'entre les 2 guerres pour permettre la résurrection de l'idée européenne ensuite. Mais l'on perçoit bien le double mouvement actuel centrifuge/centripète : pendant que les grosses têtes de Bruxelles rêvent d'une Union complète à l'américaine, tout au moins on peut le penser, les peuples revendiquent plus d'indépendance et de souveraineté et se séparent comme dans l'ex Tchécoslovaquie ou l'ex Yougoslavie alors que d'autres manifestent pour demander leur autonomie (Ecosse, Catalogne, Pays basque...) pour ne citer que le cas des pays de l'Union européenne (voir l'Ukraine, le Kurdistan, le Sud-Soudan etc)

J.D. 16 septembre 2014

Partager cet article
Repost0
29 août 2014 5 29 /08 /août /2014 11:24

Le 10 septembre 1926 (douzième anniversaire de la première bataille de la Marne qui se déroula du 6 au 12 septembre 1914), une délégation allemande conduite par Gustav Stresemann, ministre des Affaires étrangères de la République de Weimar, faisait une entrée triomphale dans la salle des séances de la Société Des Nations (S.D.N.) à Genève.

Voilà ce que décrit Georges Suarez dans « Briand » tome VI (édité en 1952) chapitre II :

« Les délégués allemands reçurent, en débarquant à Genève, un accueil indescriptible. Il faut se replacer dans l'atmosphère de cette époque, où seules étaient visibles les apparences créées et exploitées par les traités de Locarno....(voir la fiche N°187 http://jean.delisle.over-blog.com/2014/07/deux-discours-remarquables-le-30-novembre-1925-n-187.html)

Une foule immense avait envahi les voies d'accès , les tribunes, les couloirs de la S.D.N. Dans la salle, les délégués debout acclamaient les représentants de l'Allemagne...

Le président donna la parole à Stresemann qui, aux applaudissements frénétiques de l'assistance, monta à la tribune et prononça un fort beau discours.... ».

Ce fut Aristide Briand qui répondit au discours de Stresemann. Voici des extraits du discours de Briand :

« N'est-ce-pas un spectacle émouvant, particulièrement édifiant et réconfortant, que, quelques années à peine après la plus effroyable guerre qui ait jamais bouleversé le monde, alors que les champs de bataille sont encore presque humides de sang, les peuples, les mêmes peuples qui se sont heurtés si rudement se rencontrent dans cette Assemblée pacifique et s'affirment mutuellement leur volonté commune de collaborer à l’œuvre de paix universelle ?

Quelle espérance pour les peuples ! Et comme je connais des mères qui, après cette journée, reposeront leurs yeux sur leurs enfants sans sentir leur cœur se serrer d'angoisse !

Messieurs, la paix, pour l'Allemagne et pour la France, cela veut dire : c'en est fini de la série des rencontres douloureuses et sanglantes dont toutes les pages de l'histoire sont tachées ; c'en est fini des longs voiles de deuil sur des souffrances qui ne s'apaiseront jamais ; plus de guerres, plus de solutions brutales et sanglantes à nos différents ! Certes, ils n'ont pas disparu, mais, désormais, c'est le juge qui dira le droit. Comme les individus qui s'en vont régler leurs difficultés devant le magistrat, nous aussi, nous réglerons les nôtres par des procédures pacifiques.
Arrière les fusils, les mitrailleuses les canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage, à la pai
x ! »

La dernière phrase, qui fut célèbre à l'époque, déchaîna à l'assemblée de la S.D.N. à Genève une véritable tempête d'applaudissements. Suarez reproduit le commentaire qu'en fit une biographe de l'époque : Mme Antonino Vallentin :

« Les bras de l'homme s'étaient levés, une vision d'Apocalypse semblait passer devant ses yeux. Le public haletait, les mains s'agrippaient au parapet des tribunes, des larmes coulaient sur de durs visages ».

Interrompu par les applaudissements, Briand reprit un très long discours dont voici de nouveaux extraits :

« Il faut bien le dire, si l'Europe retrouve son équilibre économique, son équilibre moral, si les peuples ont conscience qu'ils sont en sécurité, ils pourront secouer de leurs épaules les lourds fardeaux qu'imposent les inquiétudes de la guerre ; ils pourront collaborer à l'amélioration de leur situation respective ; il se créera enfin un esprit européen....

L'Arbitrage ! Ce mot a maintenant tout son prestige et toute sa force ; les traités d'arbitrage se multiplient ; de peuple à peuple, on se promet de ne plus se battre, de recourir à des juges. La paix chemine à travers toutes ces entreprises, et c'est l'esprit de la Société des Nations qui les anime...

Avec elle, la Paix ! Sans elle, tous les risques de guerre et de sang dont les peuples n'ont que trop pâti...

Je me félicite d'avoir pu assister à cet événement. Il tiendra, j'en suis sûr, une grande place dans l'histoire. A nous de nous employer pour qu'aucune imprudence des uns ou des autres ne vienne compromettre les espérances des peuples ».

Suarez fait ce commentaire :

« Les derniers mots se perdirent dans une ovation délirante. Ce jour là, pour la première fois, se forma une véritable mystique de la S.D.N. Elle n'était pas sans grandeur ni sans sincérité. Mais elle allait donner à ce Parlement qui avait surtout besoin de raison, l'inspiration fanatique d'une nouvelle religion. Tant que Briand sera là, pour contenir les fougueux élans que son éloquence déchaînait, les dangers de ce prosélytisme seront réduits. Quand il disparaîtra, personne ne sera de taille pour les conjurer. »

Il faut tenir compte que Suarez écrit ces lignes en 1952, donc après la seconde guerre mondiale. Mais cela amène néanmoins à s'interroger sur la S.D.N. ancêtre de l'ONU. Comment en effet a-t-on pu passer d'un état d'euphorie, de coopération internationale des années 1920 (accords de Locarno, fonctionnement de la SDN, pacte Briand-Kellogg), à la catastrophe qui a suivi : arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne (c'est le 30 janvier 1933 que le Président Hindenburg appela Hitler comme Chancelier), guerre d'Espagne commencée en juillet 1936, invasion de la Chine par le Japon commencée en août 1928, conquêtes coloniales italiennes des années 30, guerre entre la Bolivie et le Paraguay en 1932, alliance Rome/Berlin en octobre 1936, annexion de l'Autriche en mars 1938, invasion de la Tchécoslovaquie en mars 1939 , pactes germano-soviétiques d'août 1939, seconde guerre mondiale... et en si peu de temps ?

Nota : à Genève, la S.D.N. s'installa d'abord dans le palais Wilson quai Wilson. C'est là que fut reçue la délégation allemande en septembre 1926. Ce fut le siège de la S.D.N. jusqu'au transfert en 1936 au Palais des Nations dans le parc de l'Ariana jusqu'à la fin de la S.D.N. en 1946.

Depuis 1998, le palais Wilson accueille le Haut Commissariat des Nations-Unies aux droits de l'homme et depuis 1966, le palais des Nations est devenu le siège européen de l'ONU avec un certain nombre d'agences spécifiques comme : l'AIEA (agence internationale de l'énergie atomique) , la FAO (agence pour l'alimentation et l'agriculture), l'UNESCO etc

La Société des Nations :

Dès le XIXe siècle, l'idée fit son chemin qu'il fallait remplacer les guerres par le droit et l'arbitrage pour régler les conflits entre Nations. Ainsi, un « Bureau international de la Paix » avait été créé à Berne en 1892 et des « conférences internationales de la paix » s'étaient tenues à La Haye de 1899 à 1907.

Cette idée fut reprise par Woodrow Wilson président des Etats-Unis le 8 janvier 1918 dans un discours devant le Congrès américain où il définissait en 14 points les conditions qui devaient être remplies pour terminer la guerre. Voici le point 14 :

« une association générale des Nations doit être constituée sous des alliances spécifiques ayant pour objet d'offrir des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale aux petits comme aux grands Etats ».

Après l'armistice de novembre 1918, il y eut la conférence de Paris préparant le traité de Versailles.

C'est à l'hôtel Crillon à Paris que fut rédigé du 3 février au 11 avril 1919 le « pacte » de la Société des Nations. Et la création de cette Société des Nations fut intégrée dans le traité de Versailles.

La première réunion de la S.D.N. eut lieu à Londres le 10 janvier 1920. Elle ratifia le traité de Versailles. Le pacte prévoyait essentiellement deux grandes choses :

*la création d'une « cour permanente internationale de justice » qui fut effectivement créée à La Haye en 1922

*des procédures d'arbitrage pour régler les conflits.

C'est à partir du 1er novembre 1920 que la S.D.N. siégea à Genève

organisation :

*45 pays avaient adhéré à la Société des Nations à ses débuts, mais cela ne comprenait pas les Etats-Unis malgré qu'ils furent à l'origine de cette institution. Les Etats-Unis ne ratifièrent pas le traité de Versailles et le Sénat américain émit le 19 novembre 1919 un vote négatif à l'adhésion à la S.D.N.

La Russie n'adhéra que le 18 septembre 1934 pour en être exclue le 14 décembre 1939 suite à l'invasion de la Pologne. L'Allemagne fut admise en 1926, mais avec l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933, l'Allemagne quittait la Société des Nations. Le Japon condamné par la S.D.N. pour l'invasion de la Chine quittait la S.D.N. en 1933 et l'Italie en 1937. Au maximum la S.D.N. compta 60 membres fin 1934, début 1935.

L'organisation de la S.D.N. comprenait (outre la Cour de La Haye):

*Une Assemblée Générale qui réunissait des représentants de tous les pays membres, avec à la tête de l'Assemblée générale un président

*Un Conseil avec des membres permanents et des non permanents. Il y eut, à l'origine, 4 membres permanents (la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et le Japon). En 1926, l'Allemagne devint le cinquième membre permanent. Il y eut également 4 membres non permanents élus pour 3 ans (les premiers membres élus pour 3 ans furent la Grèce, la Belgique, le Brésil et l'Espagne) puis on passa à 6 membres non permanents en 1922 puis à 9 en 1926. Le Conseil se réunissait 5 fois par an.

*Il y avait enfin un secrétariat général avec un Secrétaire Général.
En outre, la S.D.N s'adjoignit un certain nombre d'agences spécialisées (un bureau central de l'opium, une commission pour les réfugiés, une commission pour l'esclavage, un comité sanitaire, l'organisation internationale du travail
...).

Elle confia également à quelques pays (Royaume-uni, France, Belgique, Nouvelle-Zélande, Australie et Japon) un mandat de gestion sur des territoires, essentiellement anciens territoires de l'ex empire ottoman ou anciennes colonies allemandes.

La S.D.N. elle-même administra la Sarre jusqu'à ce qu'un référendum, en 1935, donne 90% de la population favorable au rattachement à l'Allemagne. La Sarre fut alors rendue à l'Allemagne, c'est-à-dire à l'époque au troisième Reich.

C'est lors de la conférence de Yalta (en Crimée) tenue en février 1945, que fut décidée la création de l'ONU en remplacement de la SDN. Tous les biens de la SDN furent dévolus à l'ONU et des agences de la SDN continuèrent à fonctionner dans le cadre de l'ONU.

Bilan

Si l'on veut voir le verre à moitié plein, la S.D.N permit de régler certains conflits tels :

-celui des îles Aland (entre la Suède et la Finlande)

-celui entre Albanie et Yougoslavie

-entre Autriche et Hongrie

-entre la Grèce et la Bulgarie

-entre Allemagne et Pologne (pour la Haute-Silésie)

-entre l'Irak et la Turquie

-entre la Colombie et le Pérou

etc

En outre les agences spécialisées permirent une coopération internationale dans la lutte contre l'esclavage, l'analphabétisme, la drogue, les épidémies, l'amélioration du droit du travail etc.

Si l'on préfère le verre à moitié vide, la SDN n'empêcha pas la guerre d'Espagne, l'invasion de la Chine par le Japon, le réarmement de l'Allemagne et la seconde guerre mondiale avec tout son cortège d'invasions, d'occupations et d'horreurs... Ce qui fait conclure à l'échec de la SDN par beaucoup d'auteurs.

La S.D.N prenait des résolutions, la Cour de La Haye rendait des jugements, mais il n'y avait pas de forces internationales pour faire appliquer les décisions. En outre, des pays comme les Etats-Unis n'adhérèrent pas pour ne pas être liés par les décisions de la SDN ; d'autres comme l'Allemagne, l'Italie, le Japon quittèrent la SDN quand ils voulurent avoir les mains libres ou furent exclus comme l'URSS en 1939.

Les artisans de la paix et de la coopération des années 1920 disparurent : Gustav Stresemann, l'Allemand, décédé le 3 octobre 1929, Aristide Briand le 7 mars 1932 et Frank Kellogg l'américain le 21 décembre 1937 (il avait 81 ans).

Ces personnages auraient été aux responsabilités 10 ans de plus, est-ce que cela aurait empêché la seconde guerre mondiale ? Qui peut répondre ?

Mussolini déclara à propos de la SDN : « La SDN est très efficace quand les moineaux crient, mais plus du tout quand les aigles attaquent ». Ce fut probablement le principal problème.

L'ONU a repris l'esprit et les missions de la SDN mais avec les mêmes problèmes. Il est bien évident que l'ONU ne se comporte pas avec la Chine, la Russie ou les Etats-Unis comme avec la Serbie ou l'Irak !

Dans « Les animaux malades de la peste », Jean de La Fontaine (1621/1695) tire la conclusion suivante :

« Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

Cela était vrai dans l'Antiquité, au XVIIe siècle et cela l'est toujours !

J.D. 29 août 2014

le palais des Nations à Genève, photo Yann Forget

le palais des Nations à Genève, photo Yann Forget

Partager cet article
Repost0
29 juin 2014 7 29 /06 /juin /2014 08:49

Le 26 mars 1925, Jean Herbette, ambassadeur de France à Moscou, adressait à Aristide Briand un rapport confidentiel sur la situation de la Russie 7 années après la révolution qui mit fin au règne des tsars.

Témoignage rare sur la situation de la Russie et des Russes à cette époque, texte pertinent, sans concession, prémonitoire.

Ce rapport fut retrouvé par Georges Suarez dans les archives de Briand et publié en 1952 dans le tome VI de « Briand », chapitre I. Voici ce rapport :

« Les journaux m'ont permis de suivre, mais de bien loin, la tâche singulièrement difficile que vous avez accomplie à Genève (à la Société des Nations). J'aurais quelque chose à vous raconter dans un instant, comme au représentant de la France dans le Conseil de la Société des Nations. Mais auparavant, il faut que je vous dise un peu ce que j'observe ici. Sans quoi, ma lettre ne serait pas seulement confidentielle : elle serait aussi inintelligible, ce qui paraîtrait assurément exagéré.

Pour avoir vécu deux mois et demi à Moscou, je n'ai pas la prétention de connaître à fond la Russie nouvelle. Mais il me semble apercevoir ceci :

Les pays qui formaient l'ancienne Russie et que Moscou gouverne actuellement ressemblent à une immense forêt sur laquelle un terrible orage aurait passé. Les arbres découronnés, couronne n'étant pas toujours synonyme de tête. Des branches vivantes ont été cassées comme le bois mort. Tous les troncs frêles ou pourris ont été brisés. De loin, pendant des années, cette forêt dévastée a produit l'effet d'un cimetière.

Mais vous rappelez-vous, monsieur le Président, nos petits cimetières de campagne au printemps le long de la Loire ? La nature y reprend son éternelle jeunesse, et la vie triomphe de la mort. La forêt russe reprend de même. Partout des pousses nouvelles crèvent l'écorce des générations décapitées. Les rues de Moscou grouillent d'enfants. Je les regarde jouer dans la neige , ou bien au bord des ruisseaux que la glace laisse couler maintenant en fondant sous le ciel bleu. Ils sont vigoureux. Ils parlent fort. Le dimanche, on les fait défiler par troupes, en chantant, derrière des drapeaux rouges qui sont ici le symbole du gouvernement et non plus de l'émeute, le symbole de l'ordre et de la discipline rigoureuse et exubérante à la fois. Ces enfants-là n'ont jamais connu le tsar. Ils se voient gouvernés par des hommes de vingt-cinq ou de trente ans, qui étaient des gamins eux-mêmes quand la guerre a éclaté en 1914. Un peuple nouveau et dru commence à lever, comme les blés en avril – des blés pleins de coquelicots.

Ce peuple, il lui faudra sa place au soleil. On parle d'impérialisme bolcheviste ? Quelle absurdité ! Nous sommes devant une poussée irrésistible de la nature, et c'est sous un gouvernement internationaliste que cette poussée a encore le plus de chances de se frayer pacifiquement son chemin.

C'est facile à comprendre. Vous qui avez étudié ces questions sociales bien avant moi et bien plus profondément que moi, monsieur le Président, vous le devinez avant que j'aie le temps de l'écrire : le régime actuel de la Russie n'est point - ses chefs eux-mêmes le disent à qui veut l'entendre – la réalisation du communisme ; il n'est point la formule définitive que ses promoteurs rêveraient d'étendre à toute la terre ; il est, eux-mêmes le proclament, une forme de transition qui, comportant le capitalisme d’État et non pas la suppression du capital, la lutte contre les difficultés primitives et non pas le perfectionnement illimité de la production, le renforcement de l'autorité publique et non pas son évanouissement dans le bien-être général, ne constitue encore, aux yeux mêmes de ceux qui dirigent l'expérience, qu'une laborieuse étape vers un idéal lointain.

Alors, tout naturellement, les dirigeants de ce régime ont dû se partager les besognes. Certains d'entre eux continuèrent à ne préparer que la Révolution universelle. Ils prêchent aux autres nations la doctrine de la troisième Internationale. Mais leurs camarades, pendant ce temps, ont à administrer un pays de quelque 120 millions d'âmes. Administrer, au nom de quelque idéal qu'on s'y emploie, c'est un travail qui exige toujours une adaptation aux réalités. Administrer une région déterminée du globe, sous quelque drapeau que ce soit, c'est une opération qui est toujours conditionnée par les mêmes nécessités géographiques, climatiques, économiques et militaires. Ainsi se fait immanquablement la différenciation des fonctions amenant la différenciation des organes -une distinction entre la troisième Internationale et le gouvernement soviétique. Le gouvernement ne peut pas se lancer dans des aventures folles pour faire du prosélytisme à l'étranger. L'Internationale elle-même n'y aurait pas intérêt. Mais le gouvernement lui-même, attelé qu'il est à la formidable tâche de reconstituer cet immense pays, se souvient volontiers que sa doctrine politique est internationale, parce qu'une doctrine internationale permet de résoudre des problèmes intérieurs (autonomie des minorités allogènes) et d'ajourner des problèmes extérieurs (revendications territoriales contre des États voisins). Si bien que le régime bolcheviste, loin de surexciter un impérialisme forcené, est probablement le seul régime russe qui puisse, à l'heure actuelle, être assez fort pour éviter la guerre civile et en même temps assez patient pour éviter la guerre européenne.

Pour changer de régime, il faudrait passer par une nouvelle période de crises, avec massacres et dévastations. Le pays n'en veut pas. La forêt qui repousse ne veut pas être saccagée une fois de plus. Je ne dis pas que les arbres, entre eux, ne gémissent pas sur la dureté des temps. Les impôts sont lourds. Les marchandises sont chères. La dernière récolte n'a pas été abondante. On craint que la prochaine ne soit encore plus médiocre. Les grandes entreprises d’État sont onéreuses. On manque d'outillage, de crédit, de fonds de roulement. Mais qu'est-ce tout cela auprès de ce qu'on a traversé victorieusement ? Et après quelle révolution les chances des contre-révolutionnaires, si grandes qu'elles aient été, n'ont-elles pas été trop petites pour compenser leurs maladresses ?

Mais admettez, monsieur le Président, que l'on regarde le régime actuel comme un simple accident passager. Admettez qu'on croie déjà discerner – cela se voit apparemment mieux de loin que de près – la forme du régime qui lui succédera. En quoi ce changement supprimerait-il le problème essentiel : le problème qui consiste à savoir comment ce peuple, qui renaît en masse, qui occupe un territoire quasiment inaccessible, qui longe toute la hauteur du continent européen, qui borde toute l'Asie en fermentation, qui dispose de ressources inexploitées et indéfinies – comment ce peuple gigantesque se refera une place parmi les principaux États du monde ?

Est-ce avec nous, pacifiquement, qu'il reprendra son rang ? Est-ce contre nous, par la force, qu'il essaiera de bousculer les frontières de l'Europe orientale, ouvrant la brèche par où passerait la revanche des nationalistes allemands ? Voilà la question dont dépendent peut-être la paix de toute l'Europe et tout l'avenir de notre pays, qu'une nouvelle saignée épuiserait.

On dit : l'alliance russo-allemande est faite, ou bien elle est inévitable. Qu'elle soit faite, je n'ai pas le droit de le croire ; le contraire m'a été affirmé dans des conditions telles que je ne vois pas pourquoi l'on aurait voulu me tromper ; et d'ailleurs je ne vois pas non plus l'avantage que la Russie trouverait à se lier d'avance. Que l'alliance russo-allemande soit inévitable, je le crois encore moins. Quand un pacte a pour résultat que des millions d'hommes devront se faire trouer la peau, il y a toujours quelque moyen d'empêcher qu'il ne se noue ou bien qu'il s'exécute.

Seulement, pour que la Russie et l'Allemagne ne s'unissent pas dans une combinaison explosive, encore faut-il que les Russes guérissent de la fièvre obsidionale où dix ans de guerre, de révolution, de blocus militaire, social ou économique les ont plongés. Or, on les entretient dans cette fièvre obsidionale, si l'on agite continuellement devant eux je ne sais quels projets de coalition entre États limitrophes. Une propagande perfide exploite ici tous ces projets. On répète aux Russes que l'Angleterre désapprouve l'union des États baltiques, qu'elle se désintéresse de la Pologne, qu'elle ne s'occupe pas de la Roumanie, et que la France, au contraire, travaille perpétuellement à encercler le pays des Soviets. Cette muraille d'encerclement n'effraye d'ailleurs pas les Russes, surtout quand on leur affirme qu'aucun Anglais n'est derrière. Ils ne pensent alors qu'à s'unir aux Allemands pour la renverser.

J'arrive ainsi à ce que je voulais vous raconter, monsieur le Président. Le gouvernement soviétique, tout en refusant d'adhérer à la Société des Nations, s'intéresse cependant à ce qui se fait à Genève. Si on l'y invitait, il enverrait volontiers un observateur à la session de septembre prochain. Il choisirait un homme important qui pourrait figurer dans la salle de l'Assemblée et même s'asseoir à la table du Conseil, tout en n'étant toujours qu'un observateur qui n'engagerait pas son gouvernement. La chose peut-elle se faire ? Je ne suis nullement en état d'en juger, comme vous le pensez bien. Je vous en parle confidentiellement, parce que je comprends, ici, bien plus facilement qu'ailleurs, la nécessité de débloquer la Russie, de créer un terrain de collaboration entre elle et nous, et de sauvegarder ainsi, non seulement l'existence de ses voisins, mais encore la paix de tout le continent et la vie d'innombrables Français. Je tâche de jouer mon modeste rôle de vigie, grimpée en haut d'un mât assez exposé au vent. Je vois un écueil. J'entrevois un cheval. Je n'ai qu'à laisser le reste aux hommes qui savent tenir le gouvernail.
Pardonnez-moi, monsieur le Président, cette interminable lettre que je vous écris la nuit, dans le silence de ma petite maison. Ayez la bonté, je vous prie, de la conserver pour vous seul et veuillez..
. ».

Commentaires :

*Sur le contexte russe :

Lorsque Jean Herbette écrit en 1925, la Russie sort de plusieurs siècles de guerres quasi continues :

-guerres contre l'empire ottoman : il y eut 11 guerres appelées « guerres russo-turques », commencées à la fin du XVIe siècle et avec pour point d'orgue la guerre de Crimée de 1853 à 1856.

-guerre contre la Suède de Charles XII de 1700 à 1718

-guerres contre Napoléon 1er au début du XIXe siècle

-guerres contre le Japon au tournant XIXe/XXe siècle

-première guerre mondiale commencée pour les Russes dès début août 1914

-révolution dite « d'octobre » 1917

-guerre civile avec les Russes « blancs »

-guerre russo-polonaise en 1920/1921

sans compter la désorganisation entraînée par la Révolution, l'exode de l'aristocratie, les méfaits de la collectivisation...

L'ambassadeur explique en termes imagés que la Russie fut saignée mais qu'elle avait encore beaucoup de vitalité et voulait reprendre son rang dans le concert des nations.
Le bruit courait déjà d'un possible rapprochement entre la Russie et l'Allemagne. L'ambassadeur ne veut pas y croire car dit-il : « quand un pacte a pour résultat que des millions d'hommes devront se faire trouer la peau... » et c'est bien ce qui arriva avec les pactes germano-soviétiques du 23 août 1939. Comme quoi si le pire n'est jamais certain, il n'est jamais exclu non plus ! Il faut dire que les Russes avaient alors le pire tsar de toute leur Histoire : Joseph Vissarianovitch Djougachvili plus connu sous son surnom de Stali
ne.

Sur tous ces événements, voir sur mon blog les notes :

N°55 http://jean.delisle.over-blog.com/article-la-fin-des-4-empires-97643758.html

N°152 http://jean.delisle.over-blog.com/2014/01/la-bataille-de-tannenberg-n-152.html

N°173http://jean.delisle.over-blog.com/2014/05/la-pologne-de-l-entre-deux-guerres-n-173.html

*Sur la troisième internationale :

En Europe, l'année 1848 avait été surnommée « l'année des Révolutions » ou « année du printemps des peuples ». Il y eut partout de la répression ou comme en France le débouché sur un second empire. Mais les idées lentement mais sûrement faisaient leur chemin et le 28 septembre 1864 naissait à Londres « l'Association internationale des travailleurs » qui fut ensuite appelée « première internationale ». Celle-ci prenait fin en 1872.

Une « seconde internationale » voyait le jour lors d'un congrès tenu à Paris en juillet 1889 sous l'impulsion de F. Engels. Cette seconde internationale prenait fin, de fait, avec la guerre de 14 et le ralliement de tous les socialistes à leur cause nationale respective.

La « troisième internationale » (en russe et en abrégé cela donne le « Komintern ») vit le jour en mars 1919 à Moscou sous la direction de Lénine. Lénine qui dicta les « 21 conditions » que devaient remplir les partis étrangers pour adhérer à cette troisième internationale. Ce qui en fit une internationale communiste et entraîna des scissions avec les socialistes dans beaucoup de partis ouvriers européens.

En octobre 1947, le Komintern se transforma en Kominform qui prit fin le 17 avril 1956 à l'époque de Nikita Khrouchtchev. (le « rapport Khouchtchev » sur Staline au XXe congrès du parti communiste de l'Union Soviétique est du 24 février 1956)

En 1938, Léon Trosky avait tenté de fonder une quatrième internationale et une reconstitution théorique de la troisième eut lieu à Sofia en novembre 1995 mais n'eut pas de suite.

L'analyse de Jean Herbette sur le principe de réalité de ceux qui sont au pouvoir est intéressante, on en connaît qui auraient du lire et méditer avant leur campagne électorale !

J.D. 29 juin 2014

P.S. La récapitulation thématique des notes de ce blog et la récapitulation des illustrations se trouvent sur la fiche N°76 http://jean.delisle.over-blog.com/article-blog-liste-des-articles-111165313.html

commando féminin de la mort russe, photos publiées dans "Le Miroir" du 12 août 1917

commando féminin de la mort russe, photos publiées dans "Le Miroir" du 12 août 1917

Partager cet article
Repost0