L'ENFANT
(poème de Victor Hugo de juin 1828, publié en 1829 dans la série « Les Orientales »)
Les Turcs ont passé là : tout est ruine et deuil
Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil,
Chio qu'ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un coeur dansant de jeunes filles.
Tout est désert : mais non, seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbant sa tête humiliée.
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage, oubliée
Ah! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux!
Hélas! Pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l'onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,
Que veux-tu? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaiement et gaiement ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux qui du fer n'ont pas subi l'affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule?
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux?
Est-ce d'avoir ce lis, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d'Iran borde le puits sombre?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu'un cheval au galop met toujours en courant
Cent ans à sortir de son ombre?
Veux-tu pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales?
Que veux-tu? Fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux ?
Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.
Contexte : Ce poème fut écrit par Victor Hugo dans le contexte de la guerre d'indépendance menée par les Grecs contre les Turcs à partir de 1821. Les Ottomans s'étaient emparés de Constantinople le 29 mai 1453, après 7 siècles de tentatives, puis d'Athènes en 1456 et du reste de la Grèce dans la foulée. Lorsque les Grecs se soulevèrent pour retrouver leur liberté, les Turcs se livrèrent à une répression féroce. Dans l'île de Chio, 23.000 hommes âgés de plus de 12 ans furent massacrés. Les femmes et les enfants (47.000) furent vendus comme esclaves sur le marché de Smyrne en Turquie. Voir Jules Verne : « l'Archipel en feu », chapitre III, texte de 1884. Après le passage des Turcs, il ne restait plus un survivant dans l'île et le poète imagine qu'il reste un enfant aux yeux bleus (un occidental).
En Turquie, les officiels marchés aux esclaves ne furent interdit qu'en 1924 par Atatûrk.
En 1823, le poète Dionysos Solomos composa un poème à la liberté. Il comprenait 150 couplets. En 1828, Nicolaos Mantzaros adaptait une musique sur les paroles. En 1864 les 50 premiers couplets devenaient l'hymne national grec. Dans la pratique et dans les cérémonies, seuls les 2 premiers couplets sont chantés.
Ύμνος εις την Ελευθερίαν Σε γνωρίζω από την κόψη του σπαθιού την τρομερή, Σε γνωρίζω από την όψη που με βία μετράει τη γη. Απ’ τα κόκαλα βγαλμένη των Ελλήνων τα ιερά, Και σαν πρώτα ανδρειωμένη, χαίρε, ω χαίρε, Ελευθεριά ! |
Hymne à la liberté |
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