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10 juin 2015 3 10 /06 /juin /2015 17:26

Dans l'histoire des sociétés humaines, certaines personnes ont rendu d'éminents services à leur patrie. Parmi celles-ci, certaines sont devenues célèbres tandis que d'autres sont tombées dans les « oubliettes de l'histoire », tout au moins vis-à-vis du grand public, sans être pour autant forcément moins méritantes. En voici deux exemples, en ce qui concerne la France :

Rose Valland :

*Elle naquit le 1er novembre 1898 à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs (Isère). Elle fit des études à l'école Normale d'Institutrices de Grenoble (1914/1918), puis à l'école des Beaux-Arts de Lyon de 1918 à 1922 et entra ensuite à l'école des Beaux-Arts à Paris et soutint une thèse à l'école du Louvre en 1931.

*En 1932 elle fut recrutée comme attachée bénévole au musée des peintures et sculptures étrangères de la galerie nationale du jeu de Paume aux Tuileries.

*En septembre 1938, devant la tension internationale, les musées nationaux français commencèrent à emballer les œuvres d'art et à les expédier hors des agglomérations c'est-à-dire vers des sites comme le château de Chambord. La désastreuse conférence de Munich, qui, à l'époque fut réputée « avoir sauvé la paix » arrêta l'emballage (il fut repris dès l'invasion de la Pologne).

*Dès mars 1939, en Allemagne, les nazis détruisirent par milliers, les œuvres « d'art dégénéré »

*Suite à l'invasion de la Pologne, le 1er septembre 1939, France et Angleterre déclarèrent la guerre à l'Allemagne le 3 septembre, mais attendirent que ce soit l'Allemagne de Hitler qui veuille bien se décider à transformer notre déclaration de guerre en guerre, en nous envahissant le 10 mai 1940. Dans « Pilote de guerre » (paru chez Gallimard en 1942), Antoine de Saint-Exupéry écrit :

« Nul ne s'avoue que cette guerre ne ressemble à rien, que rien n'y a de sens, qu'aucun schéma ne s'adapte, que l'on tire gravement des fils qui ne communiquent plus avec les marionnettes. Les États-majors expédient avec conviction ces ordres qui ne parviendront nulle part. On exige de nous des renseignements qui sont impossibles à récolter. L'aviation ne peut pas assumer la charge d'expliquer la guerre aux États-Majors. L'aviation, par ses observations, peut contrôler des hypothèses. Mais il n'est plus d'hypothèses. Et l'on sollicite, en fait, d'une cinquantaine d'équipages, qu'ils modèlent un visage à une guerre qui n'en a point. On s'adresse à nous comme à une tribu de cartomanciennes. »

*C'est le 14 juin 1940 que les Allemands étaient entrés dans Paris déserté.

*C'est le 1er novembre 1940 que l'ERR s'installa au musée du Jeu de Paume. L'ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) fut le service constitué par les Nazis pour gérer les œuvres d'art récupérées dans les territoires occupés. Alfred Rosenberg, né en 1893, qui a donné son nom à ce service, fut nommé ministre du Reich le 16 juillet 1941, pour les territoires occupés de l'Est. Il sera pendu le 16 octobre 1946 suite à sa condamnation par le tribunal de Nuremberg.

*Des directives allemandes de juin 1940 et janvier 1941 avaient fixé les missions de l'ERR :

-récupérer toutes les œuvres d'art considérées comme « allemandes ». La notion de « considérées » étant très large. Cela pouvait concerner des œuvres ayant l'Allemagne pour thème, ou qui provenaient de territoires qui à un moment ou à un autre dans les siècles passés avaient appartenu à l'Allemagne ou qui avaient été pris à l'Allemagne, telles les œuvres ramenées en France par Bonaparte. Une liste impressionnante des objets d'art considérés comme « allemands » avait été établie par collaboration Goebbels/Goering, étant entendu que les œuvres non retrouvées devaient donner lieu à « compensation », ce qui voulait dire en clair que cela donnait à l'occupant le droit de piller ce qu'il voulait.

-récupérer les œuvres appartenant à des Allemands qui avaient fui l'Allemagne après l'arrivée des nazis au pouvoir. Un certain nombre d'entre-eux s'étaient installés à Paris.

-récupérer les objets d'art appartenant aux Juifs et aux francs-maçons

*Le musée du jeu de Paume fut choisi comme entrepôt des objets d'art récupérés. Goering, qui se pensait amateur d'art, s'empara, de fait, du service de l'ERR. Plusieurs expositions furent organisées au Jeu de Paume à son intention. Il put se servir pour ses propres collections, en faire expédier en bonne quantité et qualité à son chef (Hitler), le reste fut expédié en Allemagne et stocké pour alimenter ultérieurement les musées allemands, dont un musée géant qu'Hitler eut le projet de faire construire à Linz, ville située sur le Danube au nord de l'Autriche et dont l'enfant Adolf avait fréquenté l'école.

*Les employés allemands de l'ERR établissaient des états très détaillés : description, destination en Allemagne, train par lequel l'expédition se faisait etc.

*Rose Valland parlait l'allemand mais ne le fit jamais savoir aux occupants qui discutaient devant elle sans se méfier. En outre, lorsqu'ils étaient partis, elle récupérait les carbones dans les corbeilles à papier et établissait ses propres états. Cela dura pendant les 4 années d'occupation sans qu'elle se fasse prendre. Elle avait des contacts avec la Résistance et par elle avec les Alliés. Elle les prévenait des lieux de stockage en Allemagne et des trains transportant les objets d'art vers l'Allemagne pour qu'ils ne soient pas bombardés.

*C'est seulement en juillet 1941 que le poste d'attachée bénévole de Rose Valland fut transformé en poste salarié ! Elle avait travaillé 9 ans pour l'Art à titre bénévole dont les derniers mois en espionnant les Allemands au péril de sa vie !

*Le 23 juillet 1943, 500 à 600 œuvres « d'art dégénéré » furent brûlées par l'ERR dans le jardin du musée du Jeu de Paume. Parmi ces œuvres, des tableaux de Picasso, Léger, Miro, Klee etc. Mais, dans ce domaine, les nazis n'ont pas de chance, ils sont maintenant dépassés par les barbares de l'état islamique !

*Le 24 novembre 1944, les Alliés décidèrent la création d'une « commission de récupération artistique » (« Monuments, Fine Arts and Archives Officers » pour les Américains, en abrégé : « MFA and A. Officers »).

*Rose Valland fut intégrée dans cette commission avec le titre de capitaine dans la première armée française (de De Lattre de Tassigny). Le 4 mai 1945, elle reçut de l'armée française un ordre de mission en Allemagne de durée illimitée.

*Dès la fin de 1944, elle confia toutes ses notes à James Rorimer officier américain des MFA. Grâce aux renseignements qu'elle avait accumulés durant les années d'occupation, de nombreuses œuvres non seulement ne furent pas détruites mais purent être récupérées. Les touristes qui visitent aujourd'hui nos musées ne se doutent pas de ce qu'ils doivent à Rose Valland. Dès la fin de 1944, en France et parallèlement à la commission internationale, avait été créée une « commission de récupération artistique » (CRA). Cette commission vit revenir d'Allemagne environ 60.000 œuvres dont 45.000 furent restituées à des particuliers ou à leurs héritiers.

*Rose Valland intervint non seulement dans le secteur occidental de l'Allemagne mais également dans la partie occupée par les Soviétiques et en ramena nombres d'objets d'art. Elle en profita pour faire des rapports sur les forces soviétiques et là aussi sans se faire prendre : une vraie James Bond girl !

*Elle avait fait la connaissance vers la fin de la guerre de Joyce Heer secrétaire-interprète à l'ambassade des États-Unis à Paris. Elles vécurent ensemble. Joyce Heer décéda en 1977, Rose Valland le 18 septembre 1980. Elles sont inhumées ensemble au cimetière de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs (Isère). Rose Valland avait pris sa retraite en 1968 à l'âge de 70 ans.

*Après guerre Rose Valland reçut un certain nombre de décorations françaises et étrangères. Deux films (Le Train en 1964 et Monuments Men en 2014) retrace son action pendant et après la guerre. Plusieurs livres (dont celui de Corinne Bouchoux : « Rose Valland la résistance au musée »), articles ou expositions lui furent consacrés. L'Américain James Rorimer lui rendit hommage dans son livre « Survival » , en 1950. Une plaque fut apposée sur le musée du Jeu de Paume le 27 avril 2005 par le Ministre de la Culture de l'époque. Un collège de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs porte le nom de Rose Valland.

*Enfin Rose Valland écrivit elle-même un livre intitulé : « Le front de l'Art » avec comme sous titre : « Défense des collections françaises 1939/1945 ». Elle le dédia « à tous ceux qui luttèrent pendant la dernière guerre pour sauver un peu de la beauté du Monde ». La première édition (chez Plon) date de février 1961 avec un tirage de 4.000 exemplaires. Une réédition fut effectuée en 1997 par la Réunion des musées nationaux et la dernière , toujours par la Réunion des musées nationaux date de 2014.

Malgré tout cela, Rose Valland reste largement méconnue du grand public. De mon avis, elle mériterait grandement autant que d'autres d'être au Panthéon.

Emmanuel Crétet :

*Il naquit à Pont-de-Beauvoisin (Savoie et à l'époque appartenant au royaume de Sardaigne) le 10 février 1747.

*Il travailla chez un armateur bordelais et fit à ce titre plusieurs voyages vers les Antilles. Puis il vint travailler chez un de ses oncles à Paris (qui avait créé une caisse d'assurances contre les incendies) et lui succéda.

*Dégoûté des excès de la Révolution, il se retira dans la Côte d'Or et acheta en 1791 la chartreuse de Champmol, nécropole des Ducs de Bourgogne qui avait été mise en vente au titre des biens nationaux.

*En 1795 il fut élu député de la Côte d'Or à l'Assemblée constituante puis au Conseil des Anciens.

*Il soutint Bonaparte lors du coup d'Etat du 18 Brumaire (9 novembre 1799), ce qui lui valut d'être nommé conseiller d'Etat

*Il fut à l'origine de la fondation de la banque de France dont il fut nommé le premier gouverneur par décret impérial du 25 avril 1806, puis Directeur des Ponts-et-Chaussées et enfin ministre de l'Intérieur le 11 août 1807. Il démissionna pour raison de santé le 1er octobre 1809 et fut remplacé comme ministre de l'Intérieur par Fouché. Il mourut le 28 novembre 1809 et fut inhumé au Panthéon.

*Entre-temps, il avait été fait comte de Champmol par Napoléon le 26 avril 1808.

*A différents titres : banque, Ponts-et-Chaussées, Ministère de l'Intérieur, Emmanuel Crétet avait été à l'initiative d'un très grand nombre de projets dont j'emprunte la liste à Wikipédia :

La liste est importante, malgré cela, Emmanuel Crétet est tout aussi inconnu du grand public que Rose Valland. Mais pour lui il y a peut-être une explication : reconnaître ses mérites ce serait en même temps mettre en avant toutes les réalisations qui furent effectuées durant la période du premier empire. Or il y a encore en France des ennemis irréductibles de Napoléon 1er (voir la note N°104 http://jean.delisle.over-blog.com/article-les-guerres-napoleoniennes-n-104-117175488.html), principalement parmi les gauchistes dont beaucoup de pédagos. Ceci explique peut-être cela ?

J.D. 10 juin 2015

Ajout du 13 juin 2015 : le musée Carnavalet (16 rue Francs-Bourgeois à 75003 Paris) organise du 8 avril au 30 août 2015 une exposition sur le thème « Napoléon et Paris ».

Rose valland en uniforme de capitaine

Rose valland en uniforme de capitaine

Emmanuel Crétet

Emmanuel Crétet

ouvrage de Rose Valland réédité par la Réunion des Musées nationaux en 2014

ouvrage de Rose Valland réédité par la Réunion des Musées nationaux en 2014

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17 avril 2013 3 17 /04 /avril /2013 20:52

 

 

Définir les guerres dites « napoléoniennes » paraît simple mais c'est en fait compliqué. Tout le monde s'accorde sur la fin de la période des guerres dites « napoléoniennes » avec la chute de Napoléon Bonaparte après Waterloo (18 juin 1815). Mais quand faire commencer cette période ? En 1804 avec le premier empire ? Après le coup d'Etat du 18 brumaire (9 novembre 1799) qui mit fin au Directoire et propulsa Napoléon comme premier consul ? A partir de 1792 et le début de la première coalition contre la France ? Tous les auteurs ne semblent pas d'accords sur le sujet.

L'opinion publique française actuelle est encore très partagée sur le jugement à porter sur Napoléon. Pour les uns, il est le principal génie militaire de l'histoire de France qui porta la gloire du pays au plus haut sommet. Pour les autres, c'est un ambitieux, un assoiffé de batailles et de sang, un ogre responsable de la mort de millions d'êtres humains.

La part des choses :

Lorsque commence le siège de Toulon en septembre 1793, Bonaparte n'est encore que capitaine d'artillerie. Ce n'est par conséquent pas lui qui a mis fin à la royauté de droit divin (10 août et 21 septembre 1792), guillotiné le roi (le 21 janvier 1793), la reine Marie-Antoinette (le 16 octobre 1793), qui a aboli les privilèges (4 août 1789), supprimé les biens du clergé (2 novembre 1789), décidé de porter les frontières de la France à ses frontières naturelles à savoir, le Rhin d'un côté et les Alpes de l'autre etc. Tout cela dans une Europe dans laquelle tous les monarques se prenaient encore pour des souverains de droit divin. Louis XVI et Marie-Antoinette étaient en famille avec pratiquement toutes les Cours d'Europe. En outre les souverains eurent peur de la contagion révolutionnaire. Ce fut la curée contre la France révolutionnaire. Il y eut 7 coalitions de l'Europe contre la France, avec comme instigatrice principale, comme âme damnée, l'Angleterre. Voici un rappel de ces coalitions avec entre parenthèses la liste des pays coalisés contre la France :

1ère coalition : de 1792 à 1797 (Angleterre, Prusse, Autriche, Hollande, Espagne, Portugal, royaume des 2 Siciles et royaume de Sardaigne),

seconde : de 1798 à 1802 (Angleterre, Russie, Empire Ottoman, Autriche, royaume de Naples, Suède),

troisième : en 1805 (Angleterre, Russie, Autriche, royaume de Naples, Suède),

quatrième : en 1806/1807 (les mêmes plus la Prusse),

cinquième : en 1809 (Angleterre et Autriche),

sixième : en 1813/1814 (Angleterre, Autriche, Russie, Prusse, Suède)

septième en 1815 (Angleterre, Autriche, Espagne, Portugal, Prusse, Russie, Suède, Pays-Bas, Saxe, Bavière, Bade, Wurtemberg, Suisse, royaume de Naples)

Devenu premier consul en 1799, consul à vie en 1802, puis empereur en 1804, Bonaparte conserva les « acquits » de la Révolution. Pour éviter les guerres avec le reste de l'Europe, il aurait fallu probablement qu'il accepte le retour de la royauté, des privilèges, l'abandon des conquêtes révolutionnaires etc. Ce n'est pas ce qu'il fit et il y eut des guerres jusqu'en 1815. A chacun de juger mais mettre sur le dos de Napoléon l'entière et seule responsabilité des guerres n'est pas correct.

 

Problème de vocabulaire : Les historiens antiques furent plus futés que nos contemporains. Ainsi les Grecs n'appelèrent pas « guerres grecques » ou guerres de Léonidas ou de je ne sais trop qui, les guerres qu'ils firent aux Perses au début du cinquième siècle avant notre ère, mais guerres « médiques » (les Mèdes occupaient l'espace et le pouvoir de ce qui deviendra la Perse avant la dynastie Perse).
Les historiens latins n'appelèrent pas guerres « romaines » ou guerres de Scipion ou d'autres, les guerres qu'ils firent contre Carthage (de -264 à -146), mais guerres « puniques ». Le punique était le dialecte phénicien parlé à Carthage.

Donner aux guerres de 1792 à 1815 le nom de guerres « napoléoniennes » de la part des Anglais, c'est bien joué. Mais que nos historiens aient enfourché le cheval anglais... Mais il est vrai qu'en France nous sommes les champions de l'auto-flagellation et de la repentance ! On se souvient en 2005, d'un Président de la République française qui refusa de célébrer le bi-centenaire de la victoire d'Austerlitz (2 décembre 1805), mais qui avait envoyé le porte-avions Charles De Gaulle participer aux célébrations anglaises de leur victoire de Trafalgar (21 octobre 1805). Tout un programme !

J.D. 17 avril 2013

 

la récapitulation des notes de ce blog par thèmes se trouve sur la fiche N° 76

 

Cambronne à la citadelle de Sisteron, photo J.D. 2013

Cambronne à la citadelle de Sisteron, photo J.D. 2013

Les guerres napoléoniennes (N°104)
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